It's funny how seeing you gives me both joy and sadness at the same time. [Brol PV Sheelda Sasnan]

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Cinq minutes que je tournais en rond dans mon bureau, sans parvenir à rester immobile plus de quelques secondes, prenant un papier, le reposant au même endroit sans en avoir lu une ligne, jetant des regards ici et là avec humeur. Ma claustrophobie n’étant pas suffisamment calmée par la vue de l’immense baie vitrée, je me décidais à sortir. Il fallait que j’évacue le trop-plein d’énergie, mais je savais que je pouvais encore maîtriser mes pouvoirs. Je n’étais pas énervé, seulement Rennye n’avait pas besoin de moi avant plusieurs heures, et je m’ennuyais.

Prenant enfin une décision, je me saisis de mes gants doublés de plomb, juste au cas où, et attrapais une besace. J’avais envie de m’acheter quelque chose, un fruit, une babiole, peu m’importait. Je dévalais les escaliers et débouchais dans la rue, fronçant les sourcils à cause du soleil déclinant de la fin d’après-midi. J’aimais bien cette heure, quand tout se pare de rouge et d’orange et que la plupart des gens baissent le regards, gênés. Il faisait chaud, alors je n’avais mis qu’une tunique de coton légère, mais de toute façon, j’étais connu dans les ruelles Sakaariennes, et tout le monde s’écartait de moi, surtout par peur. Lorsque j’étais de bonne humeur comme ce soir-là, je n’étais presque pas dangereux, et seules mes mains irradiaient encore de façon nocive. Ou ma peau nue, mais au contact seulement.

Parfois, j’étais fatigué de cette absence de proximité, et je regrettais de ne pas pouvoir, au moins une fois, prendre quelqu’un dans mes bras. Mes pensées vagabondaient, passant d’un Sakaarien à un autre, glissant tout juste sur les étals des marchands, ne m’arrêtant que sur un bijou un peu brillant, une pièce de cuir joliment travaillée, ou une couleur éclatante des épices odorantes. Jusqu’à ce que je repère la chevelure brune d’une femme. L’éclat discret de ses mèches jouait avec le soleil quand elle marchait, et lorsqu’elle se retourna, je m’interrompis au milieu d’un pas et manquais de me prendre les pieds.

Ce visage me disait quelque chose, mais j’avais du mal à me souvenir d’où je l’avais vue pour la dernière fois. Peut-être était-elle plus jeune ? Elle avait la peau mâte des Sélénites, mais la plupart des sélénites que je connaissais devaient avoir pris quelques années. Ses yeux bruns ne m’avaient pas encore vus, et pourtant, généralement, on m’identifiais assez rapidement. Elle était probablement nouvelle dans le coin, peut-être arrivée sur la dernière navette ? La curiosité me dévorait, j’étais de plus en plus persuadé que je l’avais déjà croisée quelque part. Je m’approchais d’elle au gré de la foule, et finit par poser une seconde ma main sur son épaule pour l’interpeller, puis reculais d’un pas, gardant mes distances pour sa propre sécurité.

- Excusez-moi…On ne s’est pas déjà vus quelque part ?

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Sakaar était une ville étrange, dans sa construction comme dans ses habitants. On aurait dit que la ville avait été construite au fur et à mesure que le temps avançait oui, mais en récupérant des matériaux de la décharge. L’endroit était donc coloré, mais aussi claquant, sans cohérence réelle dans les motifs, dans les matériaux ou dans les couleurs. Sheelda avait toujours connu les seules habitations de la Lune, un endroit où tout avait tendance à se ressembler, où l’harmonisation était le maître mot. C’était comme découvrir un nouveau goût, une nouvelle odeur. On ne pensait pas ce genre de couleurs, ce genre d’harmonie possible et pourtant… elle était là. Sous ses yeux.

Les gens étaient tout aussi étranges. Sur Luna, tout le monde avait à présent plus ou moins la même couleur de peau, fruit de nombreux métissages qui avaient finir par simplement donner une race unique. Sur Terre, elle avait été surprise de voir des personnes aussi noires, d’autres aussi pâles. Les tons variaient constamment, mais sur Sakaar ? Sur Sakaar, plus que les tons, c’était les couleurs qui changeaient. Des gens se baladaient, bleus, rouges, violets, parfois de plusieurs couleurs, parfois même sans vraiment de couleur du tout. Ca fascinait Sheelda. Elle aimait se balader dans les rues de Sakaar, simplement regarder les gens qui passaient et faisaient leurs vies.

C’était exactement ce sentiment qu’elle avait en cet instant, le trop plein de couleur qui harcelait ses yeux, le brouahah de la vie qui emplissait son cerveau jusqu’à l’implosion. Le sentiment d’être dans un endroit nouveau, un endroit où les choses changeaient, où elle n’était pas à sa place mais qu’importe, parce que qu’est-ce qui avait réellement sa place lorsque l’on était qu’une partie d’un patchwork sans queue ni tête ? Elle sentait… pas bien. Elle ne savait plus se sentir bien. Mais elle ne se sentait pas mal. Et ça, c’était déjà positif en soit.

La main sur son épaule surpris la jeune femme. Automatiquement, son corps se tendit dans un sentiment d’agression, une envie totale d’auto-défense. Sheelda n’était pas quelqu’un de tactile, elle avait même tendance à détester qu’on la touche sans autorisation. Trop de mauvais souvenirs de gens qui la touchaient sans qu’elle ne le veuille, qui venaient lui faire des injections dont elle n’avait nullement l’envie. Et tout ça pour demander s’ils se connaissaient, comme si elle connaissait qui que ce soit sur cette planète. “Bien sûr que non, espèce de-” Mais son insulte, comme sa colère, moururent d’un coup.

Elle… était certaine de n’avoir jamais vu cet homme. Il était grand, musclé, barbu, il avait un côté sauvage… Un bel homme, clairement. Qui n’était pas du même style que n’importe quel autre que l’on pouvait croiser, ici ou au camps. Si elle l’avait déjà vu, elle s’en serait souvenue, elle en était certaine. C’était le genre de personne qu’on oubliait pas facilement. “Je crois pas.” Sheelda était sèche dans ses réponses, un peu froide même. Elle n’était pas la plus douée avec les relations sociales, souvent parce qu’elle ne faisait pas d’effort. “Vos yeux me disent un truc.” Ouais, c’était le truc qui avait fait mourir cette colère brusque et injustifiée. Les yeux. Il y avait beaucoup de choses qui pouvaient changer chez une personne, mais les yeux tendaient à être une constante. Où avait-elle vu ses yeux ? Sur Luna, elle en était sûre. Mais où…? “Vous n’êtes pas du camps, hein ?” Elle connaissait la réponse, mais elle devait bien s’en assurer.

(c) AMIANTE

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J’avais pris soin de reculer instantanément après avoir touché l’épaule de la jeune femme, et de croiser les mains derrière mon dos, afin d’être sûr de ne pas lui faire de mal. J’étais très mal à l’aise, et j’espérait ne pas m’être trompé de jeune femme, mais quand mes yeux croisèrent les siens, coupant court à sa colère, je sus que je n’avais pas fait fausse route. Je reconnaissais ses yeux. Et pourtant, la jeune femme qui était devant moi avait tout juste quelques années de plus que lorsque je l’avais quittée…Elle était devenue plus belle que jamais. Plus femme, plus mature. Elle devait avoir la vingtaine passée maintenant, alors que j’étais parti il y a quarante ans. C’était à n’y rien comprendre.

Cette découverte m’interloqua quelque peu, et le temps que je réalise, la jeune femme avait parlé. Et sa voix avait fini de me confirmer qui elle était. Je n’étais qu’un gosse à l’époque, mais j’avais connu cette femme lorsque j’étais enfant, je l’avais croisée dans les rues. J’en étais tombé amoureux. Oh, peut-être pas le vrai, le grand amour, mais un peu quand même. Elle était si jolie, si fière, si sûre d’elle. Sheelda Sasnan. Et puis j’ai été enfermé, et je l’ai perdue de vue.

- Pardonnez-moi de ne pas vous serrer la main, mais ce serait dangereux pour vous. Je m’appelle Brol. Et non, je ne suis pas du camp…mais je crois…je crois que je vous connais. Vous êtes une Sélénite non ?

Je lisais dans ses yeux une détermination farouche, une blessure secrète que je ne lui connaissais pas avant. Elle avait changé, et pas seulement physiquement. Tout comme j’avais changé, beaucoup plus que je ne voulais l’admettre. Je n’étais plus ce gosse de quinze ou seize ans qui s’était échappé d’une prison de haute sécurité. J’étais certain de ne pas m’être trompé sur son identité, mais un léger doute persistait. Elle avait tellement changé, et si peu vieilli pourtant…Il y avait quelque chose de dur, de froid dans sa voix, que je ne reconnaissais pas. Elle n’était plus la jeune fille qui riait avec ses parents en se promenant dans les rues de Luna. Et je n’étais plus le petit garçon plein de rêves qui voulait aller sur la Terre. Maintenant, les gens m’évitaient, autant dans la rue que dans les sentiments. J’étais perpétuellement entouré d’une bulle de solitude que je ne parvenais pas à crever.

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Rencontrer quelqu’un que l’on connaissait déjà d’avant, cela n’arrivait pas tous les jours. A choisir, plutôt que cet inconnu, aussi joli à regarder soit-il, elle aurait préféré voir sa mère, son père, son frère ou, surtout, sa soeur. Repenser à eux lui fit un pincement au coeur. Elle ne les avait pas vus depuis des années à présent, mais elle savait qu’ils étaient vivants, quelque part sur Luna. Elle avait pu se raccrocher à ça. Maintenant ? Non. Elle savait qu’ils étaient perdus à jamais. Il n’y avait pas moyen qu’ils aient survécu à l’explosion de la Lune. Ils avaient péri et leurs corps, s’ils existaient encore, devaient flotter dans le vide sidéral. Cette simple pensée lui donnait envie de vomir, mais elle ne pouvait s’empêcher d’y penser malgré tout.

L’homme me sortit heureusement de la crise d’angoisse qui commençait à approcher, et c’est à une autre réalité, tout aussi cruelle, qu’il me renvoyant. Le nom de Brol était connu parmi les mutants, surtout ceux qui avaient été enfermés dans le laboratoire. Sheelda avait connu Brol très brièvement, peut-être même qu’ils avaient à peine échangé quelques mos. Elle ne se souvient plus vraiment. C’est récent, mais en même temps si loin. Shee serre le poing. Repenser à ça fait mal. Elle imagine que c’est la même chose pour lui.

Comment aurait-elle pu le reconnaître ? Ce n’est plus du tout le même personne. “Oui, je… Je suis une sélénite.” Une phrase qu’elle ne dit jamais, qu’elle ne pense même pas. Pour elle, elle est une mutante. Rien de plus. Elle ne veut plus aucun lien avec ses bourreaux, avec ces fous. Moins encore maintenant qu’elle n’a plus personne, plus aucun proche qui soit des leurs. “Je suis… C’est moi, Sheelda.” S’il se souvient même de son nom. Peut-être que ça ne lui dira rien. Il semblerait que tellement de temps se soit passé. Pour lui. Pas pour elle. Même si elle en a l’impression, ce n’est pas le cas. Mais lui… “Brol, tu es….” Différent ? Evidemment. Agé ? Insultant. Magnifique ? Hors sujet. “Immense.” C’était le moins qu’on puisse dire. Il était déjà grand pour son âge quand elle l’avait connu, mais maintenant il faisait probablement plus de vingt centimètres de plus qu’elle. Une taille qui n’était pas pu commune pour des sélénites comme eux. Mais comparé à ce qu’elle avait connu… “Qu’est-ce qu’il t’es arrivé ? On to croyait mort.” C’était cash, mais elle ne savait plus prendre de pincettes. Et c’était vrai. Il aurait dû mourir, c’était le plan des scientifiques à l’époque. Elle l’avait souvent envié. Mort au milieu de la beauté des étoiles, c’était mieux que vivant sur le champs de bataille.

(c) AMIANTE

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Elle n’avait pas l’air très heureuse, je n’étais probablement pas la personne qu’elle aurait espéré rencontrer. Moi, j’étais simplement heureux de savoir que celle que j’avais secrètement aimé quand j’étais gamin était encore en vie, en bonne santé. Même si elle avait changé, elle me rappelait ma vie avant mes pouvoirs, ces moments de bonheur que j’avais pu grappiller et qui s’étaient envolés à chaque coup porté par le gardien fou. Je remarquais sa grimace, et la tension dans ses muscles lorsque je parlais de Sélénites.

- Pardon, tu n’as pas l’air d’apprécier le terme de Sélénite. C’est juste que c’est rare…de trouver l’un des nôtres en ville. Enfin…Ceux qui ont vécu ce que nous avons vécu.

Je souris en entendant son prénom. Sheelda, je ne m’étais donc pas trompé ! Elle avait l’air de chercher ses mots, m’observant comme si elle cherchait quelque chose de connu dans mon apparence. Elle n’avait pas changé. Enfin, si, mais pas autant que je ne le pensais. Je savais que le temps passait différemment sur Sakaar, mais je n’avais pas réalisé à quel point. Elle me paraissait si petite à présent, alors que c’était plutôt moi qui étais devenu…

- Immense.

J’explosais de rire, ne m’attendant pas à ce qualificatif. Me frottant la nuque, gêné, je lui adressais un franc sourire, un des premiers que je m’autorisais depuis bien longtemps.

- Toi, tu n’as pas changé. Enfin, si tu es devenue sublime, mais je pensais que tu serais…plus grande ? Je ne m’étais pas rendu compte de la différence de temps…

Je me rembrunis à sa phrase suivante. Oui, j’aurais dû être mort. J’aurais préféré être mort. Préféré ne pas avoir été laissé pour mort dans une navette petite à vous rendre fou, préféré ne pas avoir vécu quarante ans dans un désert pour ne blesser personne. Préféré rejoindre ma mère et mon frère. Je serrais les dents, et soupirais.

- Oui, je l’ai cru aussi pendant longtemps…mais ma navette a été déviée par un des portails de Sakaar, et…me voilà ? Je vous croyais morts…Quand j’ai entendu qu’une navette terrienne avait atterri à Sakaar, j’ai espéré que…Mais en fait, plus de temps avait passé pour moi que pour vous, personne ne me reconnait maintenant.

Je préférais me taire, embarrassé. Je ne savais pas pourquoi je lui racontais ça. J’avais tant de fois espéré et perdu espoir tour à tour, que j’avais fini par arrêter d’espérer. Ma famille était morte, mes amis aussi, et au fond de moi, j’espérais que mes bourreaux avaient explosé en même temps que la Lune. Même s’ils ne méritaient pas de mourir si facilement.

- Est-ce que tu veux bien…t’assoir un instant ? Je ne sais rien de ce qui s’est passé depuis mon « départ ». Enfin, si tu veux bien me raconter. Tu as un compagnon, une famille ?

Je me mordis la lèvre en lui indiquant un banc proche, espérant ne pas la heurter avec mes questions. J’étais trop content de la retrouver, je voulais savoir ce qui lui était arrivé…

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Rare de trouver à Sakaar les gens qui avaient vécu ce qu’eux deux avaient vécu. Voilà bien un euphémisme. Ils n’étaient pas beaucoup à avoir réussi à échapper à la guerre, ils avaient perdu beaucoup des leurs dans les combats, plus encore lorsque la Lune avait explosé. Sheelda croisa les bras, le regard quittant Brol pour venir fixer ses pieds. Que savait-il exactement de ce qu’il s’était passé ? Allait-elle devoir être la messagère qui apporterait la mauvaise nouvelle ? Elle espérait que non, mais elle allait bien devoir le découvrir.

Le rire la surprit, et elle releva la tête. Elle ne s’attendait pas à entendre un rire. Au camps des sélénites, elle n’entend jamais de rire. Si, ceux des enfants, mais les adultes passaient leurs temps à se morfondre, ou à prévoir une vengeance pour la façon dont les terriens les traitaient. A sa battre aussi, toujours en désaccord. Leur civilisation prétendument avancée retombait dans une certaine humanité qu’ils avaient souvent réfuté.

L’entendre dire qu’elle n’a pas changé la choque presque, parce qu’elle se voit tellement différente par rapport à ce qu’elle a pu être, même par rapport à ses années d’emprisonnement. La guerre l’a brisée, elle le sait et elle se sent sale, constamment. Sale d’avoir mené une guerre qui ne l’avait jamais concernée, pour tuer des gens qui n’avaient rien demandé à personne et qu’ils avaient attaqué pour la plus égoïste et fausse des raisons. Elle n’arrive pas à se forcer à sourire au colosse, elle ne sait pas mentir sur ses sentiments, ne sait plus passer pour joyeuse.

Le récit qu’il lui raconte lui serre un peu le coeur, et elle hoche la tête, un message de soutien de sa part. Ce n’est pas forcément évident, mais elle se refuse à toucher le bras de Brol. Pas par peur de ses pouvoirs, elle s’en fiche bien, mais parce qu’elle n’aime pas les contacts physiques, plus maintenant. Et puis la question vient et elle ne peut retenir les sanglots qui viennent. La question est tellement innocente, mais elle pose un poids sur les épaules de la jeune femme. Elle est messagère des horreurs de leur peuple à présent.

Sheelda essaie de reprendre contenance, elle s’assoit d’elle-même sur le banc désigné et essuie le torrent de larmes sur ses joues comme elle le peut. “Brol, c’est… Beaucoup de choses se sont passées…” La jeune femme prend une grande inspiration, elle va devoir tout résumer et cela n’est pas aisé. Et puis, c’était des événements de l’histoire, mais pour elle c’était personnel. Difficile. Et elle n’avait encore jamais mis des mots sur tout ça. “La guerre a éclaté avec les terriens, ça tu le sais. Après qu’ils t’aient envoyé dans l’espace, nous avons été recruté comme soldats. Soudainement, nos mutations n’étaient plus des problèmes mais des armes, des avantages dans ce nouveau conflit. Alors tout ce qui les restreignaient a été retirés. C’était un vrai carnage, on tuait parfois sans même savoir pourquoi, juste parce qu’on ne le demandait. On était des machines, et puis… Et puis les humains ont finit par nous rendre notre violence et c’est devenu plus personnel. On y croyait, à cet légitimité qu’on était censés avoir. Mais on a été trop loin. La Lune a explosé… Tout… Tout le monde, absolument tout le…” Les sanglots reprennent de plus belle et elle prend sa tête entre ses mains. Elle essaie de respirer, mais c’est difficile au milieu de toutes ces larmes. “Ma famille, ils étaient dessus, ils étaient tous dessus…” Sa soeur était jeune. A peine vu le monde, et elle n’en verrait pas plus. Aucun des enfants présents sur la Lune ce jour-là ne verraient le futur, si toutefois ils en avaient encore un. Sheelda priait que non. Ils avaient assez fait.

Elle réussit finalement à se reprendre, se calme au moins assez pour dire : “Je ne suis pas devenue sublime. Je suis devenue un monstre, une tueuse, une arme…” Et elle le resterait à jamais, elle en était convaincue. Ils avaient fait d’elle quelque chose d’ignoble. Quelque chose avec lequel elle devait désormais apprendre à vivre. “Je n’ai pas de compagnon, ni de famille. Les humains nous détestent, les sélénites nous rejettent. Nous les mutants sommes ceux qui prennent le plus cher. On le mérite, après tout ce qu’on a fait. Alors avoir un compagnon et des enfants ? Même si ça m’intéressait, je ne trouverais pas. Mais je n’ai pas l’intention de participer à la prolongation des sélénites. Il est temps que nous disparaissions.”

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A peine avais-je posé ma question qu’elle baissait les yeux vers le sol. Je serrais les mâchoires, pressentant le pire. Après tout, j’avais laissé ma planète dans une paix très relative, entachée de semi-kidnapping d’enfants mutants. Et puis, des années avaient passé, et j’avais perdu tout espoir de revoir un jour d’autres représentants de ma race. Mais cette rencontre remettait en question beaucoup de choses, et surtout, je me rendais compte que j’avais bien plus vieilli que Sheelda. Elle n’avait quasiment pas changé physiquement, même si ses yeux s’embrumaient de souvenirs que je ne parvenais pas à comprendre.

Sheelda se met à pleurer, et mon cœur me hurle de la prendre dans mes bras pour la réconforter, car je ne supporte pas de la voir pleurer. Mais je reste stoïque, je l’ai déjà suffisamment mise en danger rien qu’en m’asseyant près d’elle. Je m’écarte légèrement, réfrénant le geste que je pourrais avoir, et grince des dents, frustré par mon impuissance à la consoler. Elle parle difficilement, comme si chaque mot était un poignard que je la forçais à s’enfoncer dans le ventre malgré elle. Et je m’en veux de la faire souffrir, de l’obliger à revivre quelque chose dont elle n’a manifestement pas envie de me parler. Puis je comprends le fond de son discours, et je m’effondre, bouche bée.

La guerre. Voilà quelque chose que je n’avais pas envisagé. Oh bien sûr, je savais que les relations entre terriens et lunaires n’étaient pas parfaites, mais comme beaucoup d’enfants, j’espérais, je priais pour une entente cordiale entre deux peuples qui n’étaient finalement pas si différents. Je serrais les poings et m’écartais un peu plus, jetant des regards légèrement affolés autour de moi. Si ma colère devenait plus forte, il me faudrait partir d’ici. Trop de gens, trop de victimes potentielles de ma fureur. Mais à la colère succéda très rapidement l’effarement. Non seulement la guerre, mais en se servant d’enfants mutants comme soldats ? Je fixais le sol, abasourdi par ce qui suivit. Plus de Lune, plus de Terre, seulement des ruines causées par la bêtise de deux peuples qui n’avaient pas su s’entendre. Quel drame.

Des larmes roulèrent malgré moi sur mes paupières à la pensée de mon père, mais la rage qui m’avait envahi les firent évaporer en quelques instants. Je grognais, et me levais, pour m’écarter de Sheelda, de la foule. Heureusement que les proximités de ce banc étaient assez vides. Je serrais les poings, et bouillonnais intérieurement, luttant pour garder le contrôle. Les émotions qui m’étreignaient étaient très fortes, mais le feu qui brûlait dans mes yeux les consumaient sans pitié. Je ne pouvais pas me permettre de laisser Sheelda seule, dans la souffrance.

- Sheelda…

- Je ne suis pas devenue sublime. Je suis devenue un monstre, une tueuse, une arme…

Un monstre. Le mot résonne en moi depuis des années, depuis le regard de mon père lorsqu’il a appris que j’étais responsable de la mort de ma mère et de mon frère. Pour lui, j’étais impardonnable. Mais moi, j’avais réussi à me pardonner. Je n’étais qu’un enfant, effrayé par ce monde pourri qui poussait à la tension entre les peuples. Et je savais que Sheelda n’était en rien responsable de tout ce qui s’était passé. Quand on a connu les scientifiques, la faim, les épreuves sans arrêt, le sommeil dérangé, il était si facile de se laisser convaincre de faire n’importe quoi par un peu d’air frais et trois repas décents par jour.

- Sheelda…Je suis désolé. Tu n’aurais pas dû vivre ça. Nous n’aurions pas dû être enfermés, conditionner à faire ce que voulaient d’autres, sans état d’âme. Mais tout cela est fini maintenant, ici nous pouvons être qui nous voulons, nous avons le droit de changer, de ne plus…ne plus tuer…

J’étais désespéré, je ne savais pas quoi faire, quoi penser. Je voulais aider, la protéger de ces horreurs que nous avions vécues. De ce cauchemar qu’elle avait enduré. Mais à part la sortir de ce camp, je ne voyais pas ce que je pouvais faire.

- Sheelda, si tu veux je…je peux interférer auprès de la Reine, te sortir du camp, te donner une nouvelle vie, ici, à Sakaar. Tu n’auras plus à te battre pour des gens qui n’ont pas de cran pour se battre eux-mêmes !

Je cherchais son regard, son approbation, mais je ne savais pas si elle accepterais ma proposition…après tout, Rennye n’était pas vraiment dans le cœur des réfugiés, de ce que j’avais compris…

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Tout annoncer à Brol de cette façon était cruel. Il ne se doutait pas une minute du désespoir et la violence qu’elle allait évoquer, comme un raz-de-marée de malheur qui se déverserait de sa bouche. Mais il le fallait, donner tout cela d’un coup, arracher le pansement en une fois. Pour elle plus que pour lui. Brol apprenait des malheurs qui n’étaient pas les siens, il s’en détacherait bien plus facilement qu’elle. Sheelda, elle, se forçait à plonger dans des souvenirs beaucoup trop frais et qui jamais n’avaient été traités. Même pas un psychologue, même pas un ami à qui parler. Elle le disait pour la première fois, et elle ne savait pas vraiment quoi en faire.

Elle sent bien qu’elle lui cause de la peine, et une part d’elle en est désolée, mais elle ne savait pas comment le dire autrement, ne savait pas comment rendre ça moins douloureux, parce qu’au fond d’elle, c’est la seule façon de l’aborder qu’elle connaisse. Malgré tout, elle sent un pincement au coeur de lui avoir fait du mal. Elle voit bien dans ses yeux la réaction qu’elle cause, tout comme elle ressent la chaleur qui émane de lui. Un instant, elle se demande s’il saura se contrôler ou si elle finira carboniser. L’une de ces options lui semble meilleure que l’autre, mais elle ne le formule pas réellement.

La jeune femme se crispe un peu lorsqu’il parle de la vie qui s’ouvre à elle à présent, de toutes ces choses que Sakaar a à lui offrir. Elle sait que la ville a beaucoup de choses à donner et elle espère même que ses camarades mutants pourront y goûter. Certains le font déjà, elle a entendu parler de certains qui se sont installés. Dinaï aurait même trouvé une femme à épouser. Sheelda ne peut s’imaginer faire de même cependant, pas réellement. Pas la volonté, pas l’envie non plus. Pas le courage, peut-être. “C’est gentil à toi de proposer. Je… Je sais que Sakaar est une terre bonne, et Rennye est femme généreuse. Et je te serais très reconnaissant, et à elle aussi, d’essayer de m’intégrer, mais…” Mais ce n’était pas pour elle. Jamais.

Sheelda porte la main à ses yeux pour les essuyer doucement, moyen plus l'intégralité de ses joues que les séchant. Elle tend la main pour prendre celle de Brol, sans avoir peur de son pouvoir. Appréciant presque, au contraire, la dangereuse chaleur qui pouvait s’en émaner. “Mais je ne sais pas si j’y trouverais ma place. Je ne suis plus personne, après tout et… je ne chante même plus.” Un détail pour beaucoup, mais elle était qui elle était. Sheelda ne s’était jamais arrêté de chanter, jusqu’à ce qu’on lui prenne sa voix, qu’on la déforme et l’utiliser à de mauvaises fins. “Au camps je fais pousser des plantes. Je suis une Sasnan, alors c’est logique. Ca me rattache un peu à mon ancienne vie. Mais au delà de ça… Il n’y a rien ni personne à intégrer.”

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