L’une des deux femmes, Lucia, reste en retrait tandis que j’interroge notre hôtesse récalcitrante. J’observais du coin de l’œil Sonorus, qui de son côté essayait probablement de soutirer des informations à cet étrange couple posté dans un coin. Quelque chose clochait avec cette vendeuse, et son empressement à me montrer son cagibi me laissait penser que nous avions manqué quelque chose. La vendeuse m’inonde de blablas, probablement des mensonges si on en croit son ton empressé et la tension presque imperceptible dans sa voix. Selon elle, il s’agit d’un gamin Sakaarien qui aurait été frappé par la foudre. Je n’en crois rien, ces vêtements sont bien trop humains. Je termine mon observation du cagibi en remarquant une porte, que la vieille a tenté de dissimuler derrière des tissus, sans succès. Nous avons dû arriver trop vite pour elle. J’attrape les lambeaux calcinés encore fumants et je me dirige vers mon petit groupe.

- Il est parti, probablement par la porte de derrière. Si on se dépêche, on devrait pouvoir le rattraper, ses vêtements sont encore chauds. Et ça, ce ne sont pas des vêtements Sakaariens.

Je leur désigne l’arrière-boutique en foudroyant la Sakaarienne du regard. Elle a menti à un responsable de l’autorité publique, et elle en payera les frais. Je suis quasiment certain maintenant qu’elle ne prend pas le sérum, et je me dois d’en avertir Rennye et le gouvernement.

- Passons par-là, ce sera plus rapide que de faire le tour.

La femme essaye de me barrer le passage, tentative désespérée de gagner du temps, mais je la repousse violemment contre le mur, résistant à l’envie de relâcher légèrement mes pouvoirs un court instant. Je repousse les draperies de devant la porte, et tente d’ouvrir celle-ci, mais elle me résiste. Pas très longtemps cependant, je force sur la poignée fragilisée par ce que je devine être un coup d’éclair, et enfin, elle s’ouvre. Je déboule dans la rue, et les gens s’écartent en criant en me voyant apparaître ainsi par surprise. Je prends quelques respirations pour refouler la colère qui m’étreint, et scrute la rue, sans succès. Impossible de trouver une trace du gosse où que ce soit. Espérons que mes compagnons malgré eux aient plus de chance, car nous ne sommes pas prêts de mettre la main sur ce sale gosse.

Dé:

A peine sorti dans la rue, je soupire en avisant les nombreux enfants présents. Je suis convaincu que retourner interroger la vendeuse ne fera qu’éloigner l’enfant de nous, et je refuse de me laisser semer par un gosse. Seulement, lequel est-ce ? Je me laisse dépasser par mes coéquipiers, et chacun d’eux semble aller vers un enfant à l’apparence humaine différent. L’un joue avec d’autres enfants qui ne sont clairement pas humains, l’autre se fait disputer par ce qui semble être ses parents, et enfin, un troisième donne la main à une femme qui porte dans ses bras une fillette d’un rose assez peu commun. Elle semble vouloir partir, mais je n’ai pas l’intention de la laisser faire, alors je la fixe des yeux et me dirige d’un pas décidé vers elle. Je profite de ma marche pour respirer, calmer la rage qui gronde en moi, et refouler les ondes radioactives qui menacent de s’échapper, menacent les enfants autour de moi.

Je m’approche de la femme, mais celle-ci protège instinctivement son bébé de moi et je réalise que j’ai toujours le visage crispé par la colère contre la vendeuse. Je marque une pause, tente de me détendre et de sourire, et inspire un coup pour évacuer la tension dans mes muscles crispés.

- Bonjour madame, je cherche un enfant terrien, nous aimerions bien le retrouver rapidement, est-ce que vous sauriez par hasard où il se trouve ?

Je fixe le gosse agrippé à sa main avec attention, et tente de reconnaître ses chaussures. Elles ne sont clairement pas Sakaariennes, mais allez savoir si elles sont réellement terriennes ou si elles y ressemblent seulement ? Je ne sais pas quoi penser de ces chaussures, si ce n’est qu’elles ne m’évoquent rien de particulier. Cette enquête commence à me courir sur le haricot, j’aurais préféré que le gosse se rende sans difficultés et plier tout ça correctement en quelques minutes. Un bon coup de pied au derrière pour le faire rentrer dans son camp, un blâme à ses parents, et on en parle plus. Qu’ils se débrouillent avec leurs mutants, nous en avons déjà bien assez. Si ça ne tenait qu’à moi, ils seraient tous en prison comme je l’ai été dans ma jeunesse…Ils le méritent après tout. Terriens, Sélénites, c’est du pareil au même, aucun n’a réagi quand j’étais enfermé.

Je me tiens prêt à rattraper l’enfant s’il essaye de s’enfuir, et garde un œil sur mes compagnons d’infortune qui sont allés interroger les autres enfants à l’apparence de Terriens. Peut-être que l’un des trois est notre petit fugitif, ou qu’ils auront des informations utiles…

Je suis sur mes gardes, prêt à courir si l’un des enfants à l’apparence de terrien fait mine de s’enfuir. Je reste aussi vigilante envers la mère, qui me pose la question de savoir si elle va tenter de me mentir pour cacher le gosse ou si elle préfèrera obéir à l’autorité que je représente. Elle semble avoir un peu peur de moi, et je tâche d’avoir l’air moins bourru, pour ne pas effrayer la petite fille dans ses bras. La femme m’a reconnu, et elle me parle avec un ton reconnaissant et respectueux, demandant même aux enfants de me saluer. Je souris en voyant la fillette ouvrir et fermer ses doigts en un coucou timide. Si je condamne les parents irrespectueux de l’autorité, je ne peux pas en vouloir aux petits enfants, ils ne se rendent pas compte que leurs géniteurs sont parfois des monstres à l’intérieur.

- Oui madame, je suis en mission, je cherche un adolescent, probablement du même âge que votre fils, à la couleur de peau humaine. Il est dangereux et pourrait causer de gros dommages, enfin en plus de ceux qu’il a déjà causés…

Pendant que la femme m’assure qu’elle n’a pas vu plus que ce que je sais déjà, j’observe le gamin qui s’il reste toujours en retrait derrière sa mère, me glisse un regard de franche admiration. Soit c’est un gamin de Sakaar qui est parfaitement en droit d’être là, soit il ment comme un acteur de théâtre. Je prête attention à ses chaussures, mais comme je ne connais pas les Naïkies dont parlait Sharon, impossible de savoir s’il est le bon ou pas. La mère s’affole et dépose une main protectrice sur l’épaule du garçon, m’assurant qu’il est en partie Kree et qu’il tient sa couleur de peau d’eux, mais comme je n’ai pas le don de lire la génétique, impossible d’être sûr qu’elle aussi ne ment pas…J’espère que mes compagnons s’en sortirons mieux que moi.

- Pas d’inquiétude madame, nous ne voulons aucun mal à votre fils, s’il n’a rien fait nous le saurons très vite.

Je décide de la croire…pour le moment.

Entendre cette femme et son enfant m’avais radouci, mais ma méfiance n’était pas endormie pour autant. Mais alors que je m’apprêtais à leur poser quelques questions supplémentaires, la femme se radoucit elle aussi, et l’adolescent sembla reprendre un peu d’assurance. Je souris en comprenant que s’il paraît si apeuré, c’est que je l’impressionne probablement, d’après ce que me dit sa mère il voudrait être garde royal lui aussi. Beau projet pour un gosse, et après tout, qui étais-je pour l’en empêcher ? Je souris au jeune homme et posais un genou à terre pour lui demander :

- Alors comme ça tu veux être garde ? Si tu me donne ton nom et ton âge, je pourrais peut-être en toucher un mot à la Reine…

L’enfant se dérida soudainement et après une simple question à sa mère, il m’indiqua un des enfants proches de Sonorus. Ça y était, enfin le signe que j’attendais, et je jetais rapidement un coup d’œil, pour ne pas éveiller trop rapidement les soupçons de l’enfant fugueur. Je pris la main tendue de l’enfant entre les miennes, rapidement, et lui tapotais le dessus de la main.

- Merci petit, je te revaudrais ça. Prends soin de ta maman et de ta sœur.

Je me relevais, souris à nouveau à la mère en lâchant la main de l’enfant, et souris tendrement à la petite fille.

- Merci madame, la couronne saura vous récompenser.

Je me dirigeais vers Sharon d’abord, car si l’un d’entre nous savait reconnaître des habits de terrien, ça serait sûrement elle. Je posais doucement ma main sur le pli de son bras, pas plus de quelques secondes, et après un jugement rapide du groupe qu’elle interrogeait, je lui chuchotais tout bas pour que personne d’autre qu’elle n’entende :

- Le gamin près de Morar, est-ce qu’il a les euh…Naïkies ? Celui-là dit qu’il a vu l’autre arriver…

Je lui désignais l’enfant incriminé du menton, et essayais de repérer, de loin, les indices que j’aurais pu laisser de côté. Si Sharon n’avait pas été avec nous, il nous aurait été impossible de savoir lequel venait du camp terrien, vu que Morar comme moi étions incapables de reconnaître les fameuses chaussures. Je laissais le temps à la terrienne de me répondre, puis me dirigeais d’un pas assuré vers Morar et l’enfant, tâchant de ne pas paraître suspicieux, comme si je venais simplement m’assurer que tout allait bien avec Morar. En espérant que l’enfant ne s’enfuirait pas, je glissais à l’oreille de Morar dans un souffle :

- C’est lui.

Alors que le petit groupe d’enfants reculent légèrement lorsque Morar prends le bras du jeune garçon, je sens dans l’air comme un goût acide, et le visage du garçonnet trahis la panique qu’il exprime d’être emmené ailleurs. Avant même que le jeune homme ne réalise ce qui allait se passer, je recule d’un pas, pressentant que comme moi, il perdrait le contrôle. Et ce que je craignais n’a pas loupé, l’énergie qui circule dans l’air est bientôt relâchée sous forme d’une décharge qui blesse à la fois Morar et la prétendue petite sœur du terrien.

- Sharon, tu peux t’occuper d’elle ?

Sur le visage du jeune garçon, j’ai reconnu ce mélange de peur et de dégoût de soi, de crainte de blesser ceux que l’on aime, et de terreur absolue d’être vu, perçu comme un monstre. Ce mélange bien trop familier que j’ai vu trop de fois sur mon propre visage et celui de mes compagnons de prison au détour des couloirs glacés de Luna. Mon visage se ferme, parce que j’ai beau avoir près de quarante ans de plus que ce gosse, nous sommes pareils. Quelques jours plus tôt, c’est sur mon propre visage que l’on pouvait lire cet air crispé et ce regard apeuré. Suivis d’une rage intense, une colère monstrueuse, une déferlante de haine pour cette cellule close et qui me mettait au plus bas. Heureusement, le pouvoir de l’enfant était bien plus contrôlable que le mien, bien plus facile à maîtriser. J’avais entendu parler de certains terriens et lunaires qui pouvaient contrôler l’électricité ou le temps, eux sauraient probablement mieux s’occuper de lui que nous, gardes de la Reine.

J’écoute la tentative vaine de la plus âgée des enfants de me faire changer d’avis, mais j’ai déjà pris ma décision. Celui-ci ira au camp, qu’il le veuille ou non. Et je me fiche de savoir s’il sera seul ou accompagné. Tout ce que je veux, c’est que les humains arrêtent de mettre du bazar dans notre ville. Je serre les mâchoires, mais n’ai pas le temps de répondre à la fille que sa dernière phrase me fait lâcher un grondement menaçant. Rennye n’est pas juste ? Si seulement cette fillette ignorante savait, voyait tout ce que Rennye a fait pour eux. Peut-être préféraient-ils le Roi Rouge ? Pauvres hères hypocrites et ingrats. Ils ne savent pas ce qu’ils disent. Je m’écarte un peu plus lorsque deux femmes arrivent, la colère projetant des éclairs dans mes yeux que je garde fixés sur la fille. Et tout le monde sait que si je m’écarte, ce n’est pas bon signe. Pas bon signe du tout.

- Monsieur Brol ? Je crois que vous n’avez pas mesuré l’ampleur de la pagaille que vous avez créé. Cet enfant n’a rien à faire ici, et vous n’avez définitivement pas l’air de prendre le vaccin fourni généreusement par votre souveraine ! De plus, cette jeune fille semble avoir des idées bien dangereuses pour son âge, qui probablement ne viennent pas d’elle…

Je soupire, tentant de calmer la colère que je sens pointer dans ma voix. Elle tente de protéger les enfants de moi, mais elle ne sait pas qu’ils risquent bien plus que la prison ou le bannissement au camp terrien si je m’énerve.

- Vous avez le choix : Soit je ramène ce gamin au camp terrien seul, et vous allez tous en prison pour trahison envers la couronne, soit vous déménagez tous au camp terrien avec interdiction d’en sortir, ou bien vous vous inscrivez tous sur la liste de recensement et vous viendrez sous bonne garde prendre le vaccin comme tout le monde. Et n’essayez pas de me cacher le moindre membre de votre petite famille, parce que soyez sûrs que je les retrouverai.

Je fais une petite pause pour leur faire prendre conscience de la lourdeur de ma menace, et poursuit ensuite :

- Dans tous les cas, soyez sûrs que la garde enverra une patrouille de fouille dans ce quartier. Vous n’êtes pas les premiers de la matinée à être hors-la-loi…t enfant a besoin d’aide, il doit apprendre à se maîtriser, à apprivoiser son pouvoir, autrement, il est un danger pour tout le monde. Et notre Reine est moins clémente que moi envers les dangers potentiels, quel que soit leur âge…

A eux maintenant de choisir la voie qu’ils préféraient…

Je crois que cette femme est totalement inconsciente, ou alors elle n’a pas compris qui j’étais. Je serre les poings, tâchant de maîtriser la chaleur qui s’en émet, à grand-peine. Les yeux flamboyants, je me crispe encore plus en entendant Sharon tenter de me dissuader. Elle ne sait pas comment ça fonctionne ici elle non plus, elle ne comprend pas le danger que cet enfant représente, pour lui et les autres.

- Les règles sont les règles, et cet enfant ne respecte pas la loi. Les terriens doivent être enregistrés s’ils veulent entrer ou vivre dans la ville. D’autant plus s’ils sont mutants, ils représentent un danger pour les autres, et pour eux-mêmes.

Je prends une inspiration agacée quand la femme musclée s’éloigne pour s’occuper de son sale mioche, et me concentre sur l’autre femme qui tente de plaider leur cause de façon plus intelligente. Elle au moins n’essaye pas de provoquer ma fureur.

- Nous ne refusons pas d’accueillir les gens, mais qui sait de quoi demain sera fait ? J’ai vu moi-même de quoi sont capables ces sélénites et ces terriens, ils ne valent pas forcément mieux que nous, mais ils se prennent pour les rois de l’univers ! Cet enfant a besoin d’un cadre, de quelqu’un capable de l’empêcher de nuire.

Je m’interromps, surpris de voir mon apprenti Sonorus se ranger à l’avis de la terrienne. Il ne peut pas comprendre, à quel point les pouvoirs de cet enfant sont dangereux. Il pourrait se réveiller demain et trouver sa famille morte dans son salon, électrocutés dans son sommeil…comme ma mère. Comme mon frère. Je soupire, et plante mon regard dans celui de la mère qui fait pousser une fleur devant moi.

- Vous n’avez pas le choix, il faut respecter la loi. Vous et votre famille serez enregistrés sur les listes, et vous ne serez autorisés à vivre en ville qu’aussi longtemps que vous prendrez le vaccin. Et n’essayez pas de me mentir, je vois les radiations, je sais parfaitement quand quelqu’un ne prend pas le vaccin.

Petit mensonge, mais j’espère qu’il passera, après tout, je leur permets de vivre ensemble sans faire de vagues.

- Vous devrez vous présenter dès demain à la remise du vaccin, et je veillerais personnellement à ce qu’il vous soit inoculé. Il en va de la sécurité planétaire, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser courir cette maladie sans frontières.

Je fouille mes poches et en sort un épais formulaire de recensement, que je tends à la femme qui a l’air la plus coopérative. L’autre me lance un regard noir, me défiant de la séparer de son soi-disant fils, mais je l’ignore et accroche une nouvelle fois mon regard à celui qui me fait face.

- Remplissez ce formulaire, et donnez-le demain aux responsables de la distribution du vaccin. Une patrouille passera vous voir en fin de journée pour vérifier que tout est conforme à la loi. C’est votre dernière chance, ne la gaspillez pas.

Mon travail effectué, je recule de quelques pas, et note quelques mots dans un carnet. Mission accomplie. Non sans mal.