Une étoile, deux étoiles, trois étoiles. Les étoiles égrenaient les secondes que je comptais depuis qua la rébellion avant échoué. Une dague, deux dagues, trois dagues. Je lançais mes dagues en l’air, comme si je voulais tuer les étoiles une par une, et elles disparaissaient avant de retomber. Le signal. La colère sourde en moi m’empêchait de dormir depuis des jours, et je levais douloureusement ma carcasse amaigrie allongée sur le toit. Entrant par une lucarne dans la maison poussiéreuse, de descendit les escaliers et rejoignis à contrecœur l’homme qui m’attendais dans la salle à manger. Il me tendit un bol de soupe claire avec ce qui ressemblait à un légume dedans, mais je l’ignorais et m’approchais de la longue table centrale.

Je frottais mes yeux rougis et fatigués, et pris entre mes doigts frêles une carte dessinée sur un semblant de papier. Ou était-ce du tissu ? En tout cas, il était abîmé et quelques tâches brunâtres maculaient un des coins. J’étudiais longuement le plan, ne prêtant pas attention à ceux qui, au compte-goutte et après avoir donné le mot de passe, étaient introduits dans la pièce. La nuit était avancée, et aucun de nous n’osait proférer le moindre son, car nous savions que le couvre-feu avait été prononcé depuis un certain temps déjà. Seulement quelques jours avaient passé depuis l’arène, mais nous étions tous marqués par la douleur et la colère. Les plus âgés posaient sur moi un regard plein de détermination, les plus jeunes me fixaient avec une admiration mêlée de crainte. Il fallait dire que j’avais fait forte impression dans l’arène, ce jour-là.

***

Le soleil frappe aussi dur que l’épée du garde qui tranche la tête du vieil homme. Lorsque celle de Tony Stark tombe à son tour, Tyrone me regarde longuement, et alors que le temps semble s’étirer, il m’embrasse, comme pour me demander pardon, et s’élance vers un garde. Il a le temps d’avaler trois des gardes les plus proches avant que l’épée du quatrième ne s’enfonce dans sa gorge et transperce sa capuche. Je me précipite vers lui, mais deux autres m’interceptent. Alors que je ne suis qu’à quelques pas de mon meilleur ami, celui que j’aime en secret depuis tout ce temps et qui vient de mourir après m’avoir retourné mes sentiments, je m’effondre à genoux en criant son nom. Mon cri devient soudain lumière, et après un flash aveuglant qui pulvérise tout dans un rayon de deux mètres autour de moi, il ne reste plus que moi, la cape de Tyrone entre les mains et des larmes blanches et brillantes roulant sur mes joues. Je n’ai pas le temps de rester prostrée là, et alors que je m’enveloppe de la cape de Tyrone et de son odeur, je disparais dans un nuage de ténèbres glacées.

***

Je relève enfin la tête de ma carte, et mes dents se desserrent l’espace de quelques secondes. Tout le monde est arrivé, et je dois parler. Parler organisation, plans, infiltration et assassinats. Je n’en aurais pas eu la force si ma colère n’était pas si grande. Je n’ai réussi à m’échapper de l’arène que de justesse, et je sais que Tyrone n’est pas le seul qu’il me faut venger. Chacun de ces hommes et femmes sont là parce qu’ils ont perdu quelqu’un. Je parcoure les quelques personnes du regard, puis enfin ma voix, forte malgré les apparences, s’élève tandis que mes yeux s’allument d’une lueur féroce.

- Bienvenue dans la Résistance. Je suis Dagger. Bientôt, nous tuerons le Roi Rouge.

Ils sont arrivés par groupes, ou parfois seuls, hommes, femmes, aliens. Tous avec un air d’espoir dans leurs yeux, de la curiosité. J’entends les murmures, Dame Blanche, Dagger, ricocher contre les murs de la petite pièce. Impossible de savoir si certains d’entre eux ne sont pas infiltrés par le Roi, mais c’est un risque que je prends. Je jette un coup d’œil au gamin à l’entrée, et son hochement de tête me confirme qu’il n’a détecté aucune hostilité, et que tous ont donné le mot de passe. Espérons que les vigies et les éloigneurs fassent leur travail correctement. La main de Yuuka, rassurante sur mon épaule, me fit grimacer un sourire quand elle prit la mienne pour me donner un semblant de courage, illuminant la pièce de nos deux lumières au passage.

- Quel est le plan ?

Le temps des pleurs était révolu, il était temps de se battre maintenant. Je savais mon plan faillible, mais je comptais sur ces gens, leurs pouvoirs, leur détermination, pour le perfectionner et le mettre en œuvre.

- Le plan est simple : Il faut attaquer le Roi là où il est la plus vulnérable. C’est-à-dire, au cœur du Palais.

Les murmures affolés s’élevèrent aussitôt, mais je les fis taire en haussant la voix.

- Je sais, je sais que dit comme ça, ça paraît impossible et effrayant, et je sais que ça n’est pas sans risques, mais il ne nous manque qu’une personne pour rendre tout cela possible. Un homme de l’intérieur. Quelqu’un qui connaît le palais, le fonctionnement, les tours de garde et la protection autour du Roi.

Je marquais une pause, tâchant de reprendre le fil de mon plan. J’avais déjà prévu que ça ne serait pas facile, mais sans cette pièce manquante, le mécanisme ne fonctionnerait pas. Je savais que m’infiltrer ne serait pas possible, j’avais été trop remarquée dans l’arène, et le pseudonyme de Dame Blanche parcourait déjà la ville et ses environs. Mais il me faudrait quelqu’un qui pourrait soit s’infiltrer, soit connaissant déjà l’intérieur du bâtiment. Pas une mince affaire donc…J’étalais le plan sur la table, et exposais mon plan tout en indiquant les zones.

- Plusieurs groupes armés devront démarrer des émeutes aux quatre coins de la ville, afin de distraire les gardes. Les casernes seront prises d’assaut ici, là, et là, et le gros de l’attaque sera concentré sur l’arène. Nous devrons agir de nuit, lorsque les gardes seront pour la plupart endormis, et surtout pour être sûrs que le Roi Rouge soit dans ses appartements au Palais. L’arène étant de ce côté, un groupe d’infiltrés devra s’introduire par là, et la porte de service nous sera ouverte par l’homme qui nous manque. Pour ce qui est de l’intérieur du palais, nous manquons de plans et d’informations…Si vous en avez, vous pourrez venir me voir juste après. Est-ce que quelqu’un a une objection ?

J’appréhendais ce plan. Il était incomplet, et je n’étais pas la meilleure stratège. Et il nous manquait encore tant de choses à planifier, les groupes à former…Cela promettait une longue soirée.

A peine avais-je fini mon discours bancal qu’un homme s’avança au-devant de la foule. Il ne payait pas de mine, mais son discours était encourageant pour moi. Plus que ça même, puisqu’il se proposait d’être cet homme dont nous avions cruellement besoin. Enfin, plutôt de le connaître, ce qui me fit me crisper un peu. Je pouvais avoir confiance en quelqu’un connaissant le mot de passe, mais quelqu’un de l’extérieur ? Aussi proche du roi qu’il nous était nécessaire ? Je n’étais plus si sûre. Jusqu’à ce que l’homme s’assoie juste à côté de moi, et se transforme en quelqu’un que n’importe qui aurait pu reconnaître. Le Hulk. Un frisson de peur me parcourut, mais je tâchais de le maîtriser en serrant un peu plus la main de Yuuka dans la mienne. Mais le géant vert se contenta de s’agenouiller plutôt que de tous nous écraser pour trahison envers le roi rouge, et tendis la main dans ma direction. Je restais sans voix, et me contentais de frôler la paume de sa main, provoquant une traînée d’étincelles vertes au bout de mes doigts.

J’ouvris la bouche dans l’intention d’accepter sa proposition, mais un homme grand que je croyais avoir vu autrefois sur Terre. Il posa son marteau sur la table, en plein milieu de mes cartes, et je le reconnus alors. Il s’agissait de Thor, celui qu’on appelait autrefois le dieu du Tonnerre. Je tentais de récupérer l’une de mes cartes avec un froncement de sourcils, mais seul le coin de celle-ci me resta dans la main. Soupirant, je forçais un sourire lors de la fin de sa tirade, et sursautais lorsqu’un autre homme s’avança des premiers rangs.

- A MORT LE ROI ROUGE ! VIVE LA REINE BLANCHE !

L’espoir et la fierté m’étreint lorsque le petit groupe que j’avais réussi à assembler scanda encore le slogan, mais rapidement, tous se turent à nouveau. Nous avions beau être situés dans un coin abandonné de la ville, et les murs avaient beau être épais, nous n’étions pas à l’abri d’être découverts. Et si nous devions être découverts, je préférais que ce soit lorsque je planterais ma dague dans le cœur du Roi Rouge. La peur d’être découverts avant l’heure m’étreignait la poitrine comme un étau, mais la main de Yuuka dans la mienne, la chaleur de sa lumière et des sourires de l’assemblée me réchauffait le cœur.

Chacun prenait sa place dans un groupe ou un autre, qui à l’arène, qui au palais, et je contemplais cette agitation avec des pensées plein la tête. Si Ty avait été là…il aurait probablement géré la situation mieux que moi. Une larme lumineuse roula sur ma joue, que j’écrasais rapidement avant que quiconque la voie. Il ne fallait pas que leur nouvelle Reine Blanche montre de la faiblesse. Je pourrais pleurer plus tard, quand mon ennemi aurait rendu l’âme. Je passais en revue les groupes. L’illusionniste et son compagnon pourraient probablement limiter les dégâts dans l’arène, et libérer les prisonniers. J’aurais préféré voir le Hulk dans l’arène avec Thor, mais comme il était notre seul moyen d’entrer, mieux valait qu’il vienne avec Yuuka et moi au palais. Au final, nous ne serions que quelques-uns à entrer dans le palais, puisque la majorité des gardes serait occupée à contenir le dieu du Tonnerre et son groupe. Après le discours de Yuuka, de nombreuses voix s’élevèrent pour demander à libérer une sœur, un père ou un enfant, et je levais la main pour les faire taire.

- Nous opérerons la distraction musclée du côté opposé aux cellules dans l’arène, afin que vos proches ne soient pas impactés…

***

Quelques jours plus tard, le signal fut donné. Nous avions passé des jours à rassembler des rebelles, des armes, des pouvoirs parfois. Etablir une stratégie, neutraliser certaines personnes, affaiblir certaines positions. Les casernes avaient été pillées, et un vent de panique avait été semé parmi les partisans du roi. Je faisais preuve de plus de patience que je n’en avais jamais eue, car Rennye avant moi avait essayé et échoué du fait de sa précipitation. Et cela nous avait tous coûté tellement…

La nuit était tombée, et nous nous étions mis en route, les uns pour le palais, les autres pour l’arène. Chacun attendait le signal. Un garde passa, pris la relève d’un autre, et quelques secondes plus tard, je lançais trois de mes dagues en l’air. Risqué, certes, mais l’effort en valait la peine. Un éclair me répondit au-dessus de l’arène, et ma quatrième dague mis fin à la vie du garde pour que nous puissions entrer. A Hulk maintenant de nous guider. En espérant que tout se passe au mieux.

Nous savions qu’infiltrer le palais serait compliqué, mais je ne m’attendais pas à devoir jouer les prisonnières pour arriver jusqu’au roi. Yuuka, quelques membres du petit groupe et moi étions enchaînés, tandis que les autres avaient profité de quelques gardes neutralisés pour prendre leur place. Nous progressions lentement, cachant les corps au fur et à mesure, nous débarrassant des plus petits groupes et esquivant les plus gros qui se dirigeaient vers l’arène. Nos « gardes » jouaient le jeu, fanfaronnant à qui voulait l’entendre qu’ils avaient capturé la Reine Blanche et que bientôt elle croupirait dans une cellule comme les autres.

Bientôt, nous atteignîmes la salle du trône, laissant derrière nous plus de sang que prévu, mais il était trop tard pour s’en soucier. Je serrais une dernière fois la main de Yuuka, lui fit un sourire qu’elle me rendit avec un peu d’angoisse, et fit signe à Bruce de nous faire entrer. Heureusement, nous avions croisé plus de gardes que prévu dans les couloirs, et nous n’avions pas l’air fraîchement arrivés, ce qui rajoutait du crédit à notre supercherie. Si seulement elle avait marché plus de quelques secondes…

- Relevez-vous, docteur Banner.

Malédiction, nous avions été trahis. Je croisais le regard triomphant du lieutenant, puis celui de Bruce. Nous n’avions plus le choix. Alors que les gardes se jetaient sur nous, je matérialisais une dague dans chaque main, et coupais mes liens ainsi que ceux de Yuuka à mes côtés. Déjà, nous étions submergés de gardes, et nous nous déchaînâmes avec la force de notre hargne, lançant une dague par-ci, un blast de lumière par là. Rapidement, nous nous retrouvâmes dos à dos comme dans nos entraînements, et je prêtais à Yuuka l’une de mes dagues, qu’elle nourrissait de sa lumière. Nous fonctionnions à la perfection, amplifiant nous pouvoirs l’une et l’autre, Yuuka aveuglant nos ennemis de ses ailes lumineuses.

Je gardais un œil sur le Roi, appréhendant le moment où je devrais l’affronter. J’avais peur de ne pas être à la hauteur, d’entraîner dans ma chute les membres de ma petite équipe. Mais le Hulk intervint, frappant encore et encore avec la rage qui le caractérisait. Le lieutenant s’était esquivé dans une autre salle, mais je comptais bien le poursuivre dès que le Roi serait mort. Seulement, je n’avais pas prévu qu’il reviendrait, tenant une femme en joue, et distrayant Hulk et les autres l’espace d’un instant. Je me débarrassais d’un dernier garde, ruisselante de sang, et je m’apprêtais à fondre sur le Lieutenant lorsque le Roi assassina Hiroim d’un coup d’épée en plein cœur.

- HIROIM !

Elloe avait hurlé, et se précipitait sur le mourant, et je hoquetais en voyant le Hulk se faire transpercer à son tour. Le Roi éclata de rire, hurlant des monstruosités au géant de jade, mais celui-ci profita de la confusion générale pour mettre la femme en lieu sûr. Je profitais moi aussi de l’accalmie pour analyser la situation. Nous avions perdu Hiroim, et Elloe semblait vulnérable elle aussi, mais nous avions pris le dessus sur les gardes, et Yuuka en avait transpercé quelques-uns de plus de ses flèches lumineuses. Desmond nous avait rejoints, et je le vis parler avec une femme blonde que je ne connaissais pas. Celle-ci tremblait, et la lueur orangée dans son regard ainsi que son état général m’alarma. Elle semblait sur le point de perdre le contrôle, et quel que fut son pouvoir, ça n’augurait rien de bon. Je désignais la porte à Desmond, et prenant ma voix la plus autoritaire, je hurlais par-dessus le fracas des armes et des armures.

- DESMOND ! Évacue-la ! Éloignez-vous du palais le plus possible !

Je croisais le regard de Yuuka, et y surpris une douleur que je ne compris pas tout de suite. Puis je remarquais comment Desmond se comportait avec la femme blonde, et le serrement de mâchoires de Yuuka. Elle l’aimait, et elle avait du mal à le laisser partir avec cette femme.

- Yuuka…Tu peux partir avec lui si tu veux.

Firefly accorda un dernier regard au couple et se tourna de nouveau vers moi, le visage impassible. Alors que son visage et ses bras étaient marquées par des coupures et la saleté, l’intensité de son aura, pourtant affaibli par ses précédents blasts, sembla comme se renforcer et une lueur déterminée brillait dans ses yeux dorés.

- Non, Tandy. Je ne vais sûrement pas te lâcher maintenant alors que nous sommes si prêtes du but. En revanche, qu’ils prennent Lorcan avec eux ! Sans empathe, Amara pourrait ne pas y survivre !

J’acquiesçais avec gravité, et donnais les ordres à Lorcan en conséquence. Je souffrais avec ma lieutenante de sa décision, mais j’étais contente qu’elle reste avec moi pour voir cette fin que nous attendions avec tant d’impatience.

- Il est à vous, Reine Blanche !

Je fixais mon regard dans celui du Roi Rouge. Il était sacrément amoché, et il suffirait d’un rien pour l’achever. Mais je voulais le voir souffrir avant, lui faire comprendre quels torts il m’avait fait. Tyrone, Tony, Hiroim, et même ceux que je ne connaissais pas. Il payerait pour toutes ces morts. Je m’accroupis, me mettant à la bonne hauteur pour fixer le tyran, et l’attrapais par le col qui dépassait de son armure.

- Tu vas payer pour ce que tu as fait, Angmo-Asan. Tu vas payer pour la mort de Tyrone.

Ma voix était froide comme la mort, mais le tyran souriait, et son rire se perdit dans un gargouillement lorsque je lui plantais ma dague dans la gorge. Je regardais la mort envahir ses yeux avec la délectation d’un chat et le sourire mauvais. Le Roi Rouge était mort, ses gardes s’étaient rendus.

****

Combien même revoir Amara en vie l’avait délesté d’un poids sur sa poitrine, la voir partir avec Desmond avait été d’autant plus douloureux. Ils iraient bien tous les deux, ils allaient toujours bien tous les deux.  Elle avait été stupide de prétendre pouvoir avoir une chance face à son amie, mais elle comprenait maintenant qu’il n’y avait jamais eu de concurrence. Son ancien professeur l’avait toujours traité comme sa protégée, comme une sœur. Ça ne faisait que quelques mois que leur navette avait rencontré le sol de Sakaar, mais pour la mutante, ça faisait déjà des années. Pour elle, elle n’avait plus dix-neuf ans, plus depuis longtemps. Mais pour Desmond, elle serait toujours cette petite fille emmitouflée dans ce large pull pour dissimuler son aura qu’il était pour la première fois venue trouver alors qu’elle se tenait au fond de sa salle de classe. Rien n’avait changé à ses yeux, même si elle était parvenue à maîtriser ses pouvoirs, même si elle s’était liée d’amitié avec d’autres personnes, même si elle avait eu raison de ce morceau de Lune et qu’elle avait sauvé de nombreux élèves, rien ne changeait vraiment. Amara était l’adulte. Yuuka était l’enfant.
Elle l’acceptait, finalement.
Détournant son regard du couple qui s’engouffrait dans la sortie avec l’empathe, Firefly fixa Tandy s’avancer vers un Roi Rouge diminué. Bien qu’un sourire satisfait ourlât ses lèvres, elle devait se reprendre, ne pas perdre de vue l’objectif, alors la mutante veilla à bien vérifier que les gardes présents s’étaient tous rendus avant de profiter avec plus d’attention de la dernière scène de ce barbare. Tant des leurs étaient tombés sous sa main, et même si des missions avaient organisé pour mettre fin à son règne, elles avaient toutes été des échecs. La poitrine serrée, nul doute que Yuuka s’en souvenait. Jamais elle ne s’était sentie aussi démunie que lorsque dans leur dernière tentative, ils étaient revenus diminués, vaincus, incapables de pouvoir dire qu’ils avaient non seulement échoué, mais que certains n’avaient pas pu en réchapper. Que Yuuka avait failli. Qu’elle était responsable. Les semaines qui avaient suivi s’étaient lentement écoulés, marquées par le regret, les remords. Elle avait été incapable d’avancer, incapable de voir plus loin. C’était au prix de nombreuses discussions que Tandy avait enfin réussi à savoir ce qu’il s’était produit : elle avait besoin de le savoir de sa bouche. Des sanglots, des larmes. Yuuka était comme mortifiée. Sa culpabilité était si forte que le contrôle de son aura était de nouveau instable, rendant parfois toute proximité impossible. Sauf pour Tandy. Elles partageaient la lumière. La suite fut un travail difficile, chronophage, mais la Reine Blanche avançait pas à pas pour y venir à bout. Toutes les deux savaient que ça n’enlevait rien à cette responsabilité que Yuuka tenait à porter, mais au moins le halo qui nimbait la mutante aux cheveux roses était à nouveau stabilisé et Yuuka pouvait dorénavant soigner quiconque sans se vider de toute son énergie. Si désormais, elle pouvait continuer à se battre après un soin, elle avait aussi compris qu’elle n’aurait rien pu faire de plus durant cette mission. A partir de moment où Firefly avait fait le choix de secourir Doom, le reste de la partie était déjà jouée pour la mutante.

Il riait. C’était sa fin. Les gardes s’étaient rendus. Il vivait ses derniers instants. Mais il riait. Le sourire de Yuuka s’effaça peu à peu au profit de l’exaspération. Comment osait-il… Et alors qu’il s’étouffait dans son propre sang, la mutante comprit. La loyauté dénuait certains de toutes capacités de réflexion. A proximité de Tandy, elle prit position dans son dos et intercepta le premier coup, reculant de quelques centimètres sous la force de ses coups. Levant une main pour empêcher les autres de s’approcher, elle envoya un rayon de lumière sur son adversaire de son autre main.  
« Tu t’attendais à quoi ? »
Un rictus sur son visage, elle le vit la contourner pour essayer à nouveau d’atteindre Dagger. Rapidement, elle s’interposa encore, prête à l’arrêter avec un autre jet lumineux. Le rictus du soldat s’élargit et Yuuka réagit un cran trop tard. Du sang coula le long de sa bouche. Un sourire suffisant toujours ostensiblement sur le visage, il enfonça un peu plus son poignard. C’était douloureux. Insoutenable. Elle toussa. « Espèce de… » Son halo affaiblit se renforça. Pétillant. Éclatant. Éblouissant. « Oui ? » Insensible. La lame s’enfonça une seconde fois un peu plus haut. Plus intense. Sa lumière peinait à réchauffer son corps soudainement glacé. Les yeux dans les yeux. Toujours aussi fier. Elle allait perdre. Elle le sentait. De ses blessures s’échappaient des rais lumineux. Pendant un instant, elle ferma les yeux et l’image de Desmond s’afficha dans son esprit. Il aurait été déçu. Un peu triste aussi, certainement. Elle ne faisait pas honneur à tout ce qu’elle lui avait montré. Desmond. Son Desmond. Celui qui avait été là pour elle durant toute sa scolarité. Il lui manquait.
Ne te laisse pas démonter. lui murmurait-il. Lâche-toi, Yuuka, libère-toi.
L’instant d’après, la salle était inondée de lumière. Les pupilles comme enflammées, éclatantes. Son aura se dispersait tout autour d’elle, ses ailes grandies. « Tu n’aurais jamais dû. » La main sur son épaule, l’empêchant de se dégager. « Disparais. » Pendant quelques secondes, il crut qu’elle fabulait. Rien ne se passait. Puis il le sentit. Cette lumière qui l’entourait, tout d’abord chaleureuse, agréable. Il se sentait bien.
Un avant-goût.
Rapidement, la température augmenta et il sentit sa peau brûler, son sang bouillir, ses vêtements se désintégrer sur son corps. Il voulait être fort. Il voulait se dégager de sa poigne. Impuissant. Fiévreux. Il ne pensait qu’à crier. Sa peau rougissait et des cloques se formaient. Il hurlait. Qu’elle arrête. Que quelqu’un fasse quelque chose. Mais personne ne pouvait s’approcher. Des lambeaux de chair se décollaient les uns des autres, calcinés. Il vivait toujours. Elle lui adressa un dernier sourire. De sa paume, un nouveau jet de lumière se répandit sur lui.
Son corps fondit, décomposé sur le sol.
Pendant un long moment, la mutante fixa le masse informe. Sa lumière déclina graduellement. Un bruit, un mouvement, la salle se rappela à elle. La tête relevée, plus personne n’était là. Ils avaient tous fui face à l’intensité de son don. Il ne restait qu’une personne.

« Tandy. »

Yuuka s’écroula sur le sol, incapable de se rattraper. Tout le long, sa lumière avait continué à se déverser de ses blessures sans la guérir, trop graves, elle l’avait senti. Elle vacillait. Sa lumière vacillait. Pendant un instant comme anesthésiée, elle ressentait désormais tout. Absolument tout. Son aura qui lui échappait. La perte de sensation dans le bas de son corps. Ses bras qui se raidissait. Le froid qui était là, partout autour d’elle. La mort la guettait et elle était terrifiée.

« Protège-les. Tous les deux. Tous les autres. »

La mutante aurait voulu sourire. Elle aurait voulu lui prendre la main. La remercier. Lui dire combien elle avait compté pour elle. Mais parler avait été déjà si difficile. Elle n’était pas heureuse. Elle n’était pas satisfaite. Elle aurait voulu connaître ce monde plus tranquille.

Elle aurait voulu tout lui dire, à lui.

****

Tout c’était passé si vite. Un instant, je jubilais, regardant la vie d’un tyran s’échapper entre mes doigts, et l’instant suivant, j’étais impuissante pour l’empêcher. Je fixais mes doigts pleins de sang quand la lumière avait à peine commencé à me réchauffer. Les autres avaient déjà commencé à évacuer la salle, éblouis par les ailes de celle qui au fil des jours était devenue mon amie. Celle qui m’avait permis de surmonter la mort de Tyrone, et que j’avais aidé à se remettre de ses propres blessures. Celle qui était devenue ma sœur, d’armes, d’âme, de lumière. Et que je tenais à présent dans mes bras, ramenant ses cheveux qui lui avaient glissé dans la bouche.

- Yuuka non…Ne part pas, ne me laisse pas toute seule…

Des larmes lumineuses coulaient lentement le long de mes joues, se confondant avec la lumière faiblarde qui émanait de Firefly. Mes mains tremblantes essayaient de contenir le flot de sang, diffusant inutilement de la lumière qui ne pouvait rien soigner. Je n’arrivais pas à retenir mes larmes, à contenir mes mains tremblantes, et la grimace qui défigurait mon visage était crispée. Le sang, partout, maculait ma belle tenue blanche, et la lumière qui pulsait vainement de mes doigts était rosie par tout ce rouge.

Aussi progressivement qu’elle était apparue, la lumière de Yuuka faiblit. J’avais beau nourrir son corps de ma lumière, rien n’y faisait. J’étais impuissante face à la mort, comme j’avais été impuissante face à celle de Tyrone. Enfin, la lumière se tarit. Je refermais péniblement les yeux de mon amie, et laissais libre cours à mes larmes.

- Je te le promets…

***

Il me fallut quelques jours avant d’accepter cette fête. Je n’avais rien à fêter. J’avais tout perdu. Tout ça pour une soi-disant liberté. Viva la Révolution, qu’ils disaient. Je ne voyais rien de glorieux dans notre pseudo-victoire. Et je serais une dirigeante terrible. Je le leur avais dit, mais ils avaient quand même tenu à ce que je devienne leur reine. Comme si je pouvais régner sur quoi que ce soit. La fête battait son plein, et tous réclamaient que je fasse un discours. Bien sûr, je leur servais un sourire de façade, mais il n’avait rien de réel. Me pliant malgré moi à leurs exigences, je m’avançais au milieu de la salle, et levais mon verre.

- J’adresse ce discours à tous ceux qui ont lutté pour qu’enfin ce jour vienne. Ceux qui ont vaincu l’oppression, la peur, la douleur et la mort. Pour que jamais plus la tyrannie ne règne, pour que jamais plus les nôtres ne soient enfermés pour ce qu’ils sont ou ce qu’ils pensent. Pour que jamais plus nous ne perdions ces êtres chers à nos cœurs. Je dédie cette fête à Yuuka, et à tous ceux qui sont morts pour que nous soyons victorieux aujourd’hui. Leur sacrifice n’aura pas été vain.

Je ne peux pas continuer plus longtemps. Ma gorge se noue, et je souris encore plus largement en levant mon verre tandis que tous scandent notre victoire. Je jette un dernier regard à Desmond et Amara, et je m’efface entre les invités. Qu’ils boivent, qu’ils chantent et dansent. Ils l’ont mérité.